Chez Déborah

Chez Déborah

Chapitre 2

Alors qu’elle attend son bus avec Eléanore, Evangéline réfléchit. Elle qui redoutait que ses « tutrices » découvrent que dès le premier jour elle s’était fait un ami, et bien ça n’avait pas loupé ! En faisant les deux cents mètres qui la séparaient de chez elle, elle avait décidé de ne rien dire. Et elle n’avait rien dit. Mais Eléanore si. Elle n’avait pu s’empêcher de reprocher à la jeune souveraine son manque de non-abordabilité. Et bien sûr Mina et Namie avaient demandé de plus amples explications. Alors elle avait expliqué que Matthieu était un jeune homme charmant, bien que bavard, et qu’elle ne risquait rien. C’est là que le sourire des gardes du corps était apparu, celui qui veut dire « mais bien sûr, on te croit ! En attendant, tu veux bien nous le présenter pour qu’on le tue ? ». Aussi elle n’avait été que peu surprise de s’entendre dire qu’il fallait qu’elle arrête de voir Matthieu, et ce dès le lendemain, pour tuer leur amitié dans l’œuf…

C’est donc la boule au ventre et les jambes tremblantes qu’Evangéline attendait Matthieu à l’arrêt de bus où il était convenu qu’ils se retrouvent, et réfléchissait à la meilleure manière de lui dire qu’il valait mieux qu’ils arrêtent d’être amis… Elle songeait sérieusement à lui dire que sa vie en dépendait lorsque le bus arriva. Et point de Matthieu en vue. Il n’allait tout de même pas être en retard dès le deuxième jour non ? Quelque peu soulagée, elle allait s’engouffrer dans le bus lorsqu’un « Debbyyyyyyyy ! » lui fit tourner la tête.

Matthieu courrait vers elle à perdre haleine.

—Alors ma p’tite ? Vous montez ?

—Euh… oui monsieur… Mais mon ami arrive et est-ce que vous pourriez…

—Pas de problème ! Je l’attends.

Le chauffeur lui sourit et attendit qu’un Matthieu complètement HS entre avant de démarrer.

Le jeune homme lui fit un grand sourire en s’asseyant à côté d’elle. Alors elle sut. Elle sut que jamais elle ne pourrait lui faire de la peine. Comme elle, il était seul et comme elle, il avait besoin d’un ami. Ou une amie. Alors elle se tourna vers Eléanore et lui adressa son regard spécial, celui qui veut dire « tu n’as pas intérêt à me faire la moindre remarque » et qu’elle adressait généralement à ses conseillers lorsqu’elle n’en faisait qu’à sa tête.

 Quelque part à deux cents mètres de l’arrêt du bus scolaire, deux jeunes femmes discutaient.

—Mina, tu crois vraiment que ce garçon est dangereux ?

—Honnêtement je n’en sais rien Namie. Mais mon instinct me souffle qu’il n’est pas net… Peut-être est-il gentil. Mais je préfère ne pas prendre le moindre risque…

Namie soupire.

—Oui mais elle avait l’air si déçu… Je crois qu’elle aime déjà énormément son nouvel ami…

Nouveau soupir.

—Je sais Namie… Et ça ne me fait pas plaisir, pas plus qu’à toi. Malheureusement, nous n’avons pas le choix ! Une fois la guerre finie, on pourra revenir…

—Non ! la coupa sa jumelle. Si on part, on part ! Si jamais on revenait après, ça lui briserai le cœur une seconde fois ! Elle est si malheureuse… Mais peut-être… Oui, peut-être que ce jeune homme pourrait être notre allié ! Il pourrait nous aider à la protéger ! D’ailleurs, peut-être le fait-il déjà et…

—Namie…

Double soupir. Malgré tout ce qu’elles pouvaient dire ou essayer de savoir, de comprendre, de deviner, rien n’était moins sûr que la loyauté et la bonne foi de Matthieu… Et elles savaient que c’était mieux qu’Evangéline ne le voie plus… Ainsi, peut-être oublierait-elle… Mais là encore, personne ne pouvait dire ce que l’avenir réserve.

***

Les jours passaient et le petit groupe de survivants n’avait aucunes nouvelles de Malackia. Depuis trois semaines qu’ils séjournaient dans cette ville, aucuns des espions envoyés au pays n’étaient revenu. Seuls les quelques rapports relatifs à la sécurité de la jeune souveraine leur parvenaient des généraux qui s’étaient introduits au lycée. D’après ces rapport, l’un d’eux était déjà sur place et le second allait bientôt le rejoindre, une blessure grave l’ayant empêché de venir plus tôt. Ces informations avaient au moins le mérite de donner l’âge de ces généraux à un ou deux ans prêt.

L’attente de nouvelles de son pays et de son peuple rendait Evangéline folle, ou pas loin. Ils étaient à mi-chemin des vacances d’octobre et elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Pas télépathe pour deux sous, Matthieu pensait que la tension qui habitait son amie était due au stress des examens qui venaient. Il faut dire que tous les professeurs avaient décidé de passer les évaluations en même temps, au plus grand damne de leurs élèves. Aussi, croyant rassurer la jeune fille, il passait au moins une heure avec elle à réviser chaque jour. Et Evangéline commençait à en avoir assez. Si elle ne savait pas que les intentions de son ami étaient bonnes, elle l’aurait purement et simplement rembarré en lui disant qu’elle était doté d’une mémoire incroyable qui lui permettait de se souvenir de tout ce qu’elle lisait où entendait et de le restituer aussi parfaitement que l’aurait fait un enregistrement. Mais ça aurait été révélé qu’elle était un peu spéciale. En plus, il pensait bien faire. Alors elle ne disait rien et lui continuait de mettre sa patience à rude épreuve.

—Alors…commença Matthieu, dit moi, qu’est-ce qu’une planète gazeuse, comment la différencie-t-on chimiquement des planètes rocheuses et donne le nom d’au moins trois planètes gazeuses.

—Mat, on peut faire autre chose que de la SVT s’il te plaît ? Cette matière commence sérieusement à m’ennuyer…

—Mais Deb, et si jamais c’est cette question qui tombe au contrôle ?

—Tu es tellement naïf parfois Mat… Ne sais-tu pas que les profs sont des sadiques venus d’une autre planète qui te posent toujours des questions dont la réponse n’est pas notée noir sur blanc dans le cours ?

—Parfois, je me demande juste comment tu peux dire des trucs pareils aussi rapidement et du tac au tac… Sérieux, c’est flippant !

La jeune fille le regarde avec des yeux ronds et, d’un coup, explose de rire sous les yeux médusés de son ami qui se demande vainement ce qu’il y a de drôle…

—Mat, Mat, Mat… Et moi qui pensait que tu m’a-do-rais ! le taquina-t-elle. En fait, tu as peur de moi et de mon intellect tellement supérieur à celui du commun des mortels !

—Pffff… Si c’est comme ça j’te laisse toute seule, na ! répondit-il en tirant la langue et en faisant mine de se lever.

—Oh non, grand et majestueux et… beau ? Ouais non faut pas exagérer non plus ! Je disais donc : ne partez ô grand et puissant Mat ! Moi, petite Debby, ne serait plus insolente avec vous dans les cinq prochaines minutes… Ayez pitié de moi !

Face à cette fausse supplication faite en se retenant de rire de plus belle, le jeune homme fit semblant de réfléchir en se rasseyant.

—Hum… Je ne sais pas… Seras-tu mon esclave et obéiras-tu as mes moindres commandements ?

—Oui mon maître ! répondit la jeune fille en se tenant les côtes.

—Bien ! Alors commence par dire que je suis beau ! Un véritable Apollon !

—Faut pas non plus pousser le bouchon ! Allez, un peu de sérieux, on reprend ?

—Ok, ok… Briseuse d’ambiance ! Alors… qu’est-ce que je disais déjà ?

—Qu’on devait passer aux maths ? tenta la jeune fille.

—Ah mais oui ! Les planètes gazeuses donc !

Plus l’heure avançait et plus le jeune homme voyait qu’il avait enfin réussit à dérider sa meilleure amie.

De son côté, Evangéline avait totalement oublié ces problèmes le temps d’une délicieuse heure de pitrerie plus que de travail avec son ami. Mais ce fut encore trop court… Aussi attendit-elle avec impatience la fin de la journée et partit comme une voleuse du bus, prétextant être en retard face à un Matthieu dépité de la voir s’enfuir ainsi, à nouveau replongée dans ses problèmes.

 

Eléanore était plutôt contente de son travail de « diversion » au lycée, et elle ne le cacha pas à la réunion qui fut improvisée ce soir-là. Toutes les filles de sa classe désiraient être en sa compagnie histoire d’alimenter un peu plus les rumeurs qui couraient sur elle dans les couloirs du lycée, et tous les garçons étaient pour ainsi dire à ses pieds. Elle ne parla pas, cependant, de son seul échec : Matthieu. Elle avait vainement essayé de le détourner d’Evangéline, le draguant, le menaçant, le suppliant même ! Mais rien n’y avait fait. Il tenait vraiment à « Deb » et tenait à rester avec elle, surtout en cette période où elle semblait si perturbée par l’arrivée des examens. S’il savait… avait-elle pensé lorsqu’il lui avait dit cela. Car elle, elle savait. Elle savait très bien que ce qui stressait tant la jeune fille était de ne pas savoir ce qui se passait au pays. Ça inquiétait tout le monde d’ailleurs…

Alors que la réunion se terminait, on sonna à la porte. Ce fut Namie qui alla ouvrir et elle revint accompagnée d’une femme dans la trentaine. Son nom : Malla. Elle se présenta comme étant la chef des espions restés à Malackia.

—Comment se portent-ils, là-bas ? demanda Evangéline.

—Ils survivent, Madame. Le sort qui suit habituellement chaque souverain de Sombrasia l’a suivi aussi mais alors qu’il devrait seulement y avoir des nuits plus longues et des hivers plus doux, les nuits sont froides et interminables, il ne fait presque plus jour. Les récoltes sont incultivables alors qu’elles étaient si prometteuses et les gens commencent à mourir de faim. Sombre à « réquisitionné » tous les hommes entre dix-huit et trente-cinq ans pour les hypnotiser, en quelque sorte, et les enrôler de force dans son armée. Mais ça vous le saviez déjà puisqu’il y a trois semaines de cela mon prédécesseur, Lumos est son âme, vous en avait déjà informé.

—Votre prédécesseur ?

—Il est venu pendant ta convalescence, répondit Namie.

—Ah bon. Et les citoyens qui ne sont pas enrôlés ? reprit-elle à l’adresse de Malla.

—Et bien…hésita Malla, Sombre a pris l’habitude de torturer les jeunes hommes pas encore assez âgés pour « entrer » dans son armée devant leur mère, quel que soit leur âge…, finit-elle par dire presque à contre cœur. Et il a pris l’habitude de… de… Par la barbe de Lumos, c’est trop dur à dire tellement c’est ignoble !

La femme fondit en larmes.

—J’ai… J’ai vu, continua-t-elle, coupée régulièrement par ses sanglots tandis que Mina posait une main réconfortante sur son épaule. Il… il… les enfants aussi… passaient dans son lit… m’étais infiltrée… m’a expliqué que… que c’était… ce qui arrivait aux… aux traîtresses… c’était ignoble, ignoble ! La pauvre petite… six ans à peine… devant moi… ais rien pu faire…

—Chuuuuut… murmura Namie à son oreille. Ce n’est pas ta faute… tiens. Bois ça, dit-elle en lui tendant la tasse de tisane que venait d’apporter Mina.

—Cet homme est cruel et pervers ! s’exclama Evangéline. Il faut faire quelque chose ! C’est horrible ! Ah si je pouvais le tuer, là maintenant tout de suite, je l’égorgerais après lui avoir enlevé toutes ses entrailles une par une, sans le tuer pour qu’il souffre ! Je lui lancerai un sort pour qu’il reçoive au centuple tout  ce qu’il a infligé ! Ce monstre ! Ce, ce… raaaaaaa !

Et elle frappa le mur. Les sanglots de Malla retentissaient encore dans la pièce. Le silence dura quelques instants alors que toutes bouillaient de rage.

—Malla, finit par dire Eléanore. A-t-il changé quoi que ce soit dans l’organisation du palais ?

—Non, je ne crois pas, répondit-elle après réflexion. Ce que je sais, en revanche, c’est que toutes son armée campe autour sauf les généraux qui sont à l’intérieure.

Elle sembla hésiter puis se lança :

—On m’a aussi dit, sans que ça soit certains, que Sombre avait lancé son propre fils à votre recherche Madame… Et qu’il vous veut vivante, finit-elle dans un souffle.

—Je vois… répondit la souveraine. Alors tout n’est peut-être pas perdu…

Quatre paires d’yeux surpris se fixèrent sur elle.

***

Sébastien glisse, telle une ombre, à travers les couloirs du château. Les gardes ne le voient pas, trop habitués, désormais, à ses allées et venues pour voir le Seigneur Sombre.

Arrivé devant les portes de la salle du trône, il s’arrêta et frissonna. Dehors, le soleil se couchait, après seulement  cinq heures de présence. Plus les heures s’égrenaient, plus les jours passaient et plus le pouvoir de celui qui était son père grandissait. Bientôt, le soleil lui-même n’oserait plus venir regarder la terre des hommes à cause de la noirceur de celui qui en était le maître.

Il prend une profonde inspiration, son courage à deux mains et entre. Le Grand Seigneur regarde le soleil se coucher.

—Que veux-tu, fils ?

—Je suis venu vous informé que la mission est réussie Maître.

—Parfait.


Le jeune homme sort.

Regardant toujours les derniers rayons de l’astre du jour s’évanouir derrière les montagnes, Sombre réfléchit.



03/11/2013
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